L'Ombre du roi

Oui, elle l'a bien connu — n'avait-elle pas douze ans déjà quand le Roi est mort — mais elle n'en garde aucun souvenir. Tout ce qui touche à sa personne est de seconde main. Anecdotes, photos, portraits, hommages, ouï-dire, rumeurs, et la grande houle de toutes les haines, voilà le fonds fabuleux de sa fausse mémoire. Tout bruit, au creux de cette coquille, des éclats d'ombre de la gloire. On ne peut dire qu'elle se souvient. Aussi, sachant que tout est rêve, veut-elle à son tour faire retentir à l'oreille du disparu l'histoire, mesurée à son ombre portée, de cette oublieuse enfant dont il modula la voix. Ainsi commence le récit en trois parties : l'imaginaire, le légendaire, le romanesque – que Marie-Victoire Nantet fait de ce que fut la vie du petit poisson dodu, comme Claudel la nomma dans le court poème marquant sa naissance dans l'ombre portée de ce roi impérieux. Ces pages ne sont en rien une vie de Claudel, ni une autobiographie de sa petite-fille. Pourtant, dans l'émotion retenue et la distance d'une écriture à la fois lyrique et maîtrisée, se lisent le double portrait d'un vieillard mythique et d'une enfant, d'une adolescente, et d'une femme aux prises avec la double impossibilité de l'oubli et de la mémoire.