Syrie, Enfer et Paradis-Tome 1

Syrie, Enfer et Paradis-Tome 1

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Yatim eut l'impression qu'on le forçait à passer à travers le goulot d'une bouteille tellement on l'étirait ; on tréfilait enfin son corps pour qu'il prenne la forme du col étroit et rigide qui n'acceptait, cependant, aucun élargissement. Son cœur que l'on avait transformé en laine pour la circonstance fut jeté au fond d'un jujubier de Berberie où des milliards d'épines se mirent à le carder. Mille et une mains le sérançaient sous le regard autoritaire et impassible du monsieur tout de blanc vêtu. Isolé dans son impuissance, il subissait un supplice atroce et inhumain. La souffrance était tellement horrible qu'elle empêchait ses cris empreints de folie de se faire entendre.

Des herses labouraient son corps traversé par une incommensurable douleur. Soudain, par quelque force extraordinaire, il fut éjecté tel un organe indésirable par le cou si étroit dans un long couloir réparti en plusieurs compartiments d'aspect hyaloïde. Sur le fronton, juste à l'entrée, il lut, écrit en lettres d'or, les mots : corridor de purification.

Des mains à la peau diaphane et translucide s'emparèrent de lui pour l'emmener dans la première chambre anéchoïde. En ce lieu, allongé sur une table aussi blanche que nacrée, un autre Yatim subissait des opérations bizarres sous l'œil vigilant du vénérable fakir. Il se regarda un instant en cherchant ses membres, il ne trouva que des choses intangibles et irréelles. Tout son corps était impalpable. Il comprit enfin qu'il était devenu un étrange ectoplasme, une créature éthérée, un périsprit évincé par la vie.

Flegme et insensible, il assistait à la laparotomie de sa paroi abdominale qu'on réalisait pour extraire ses viscères de sa cage thoracique et de son abdomen. Le Santon placide lui expliqua que c'était pour éviter sa rapide décomposition. Il avança d'un pas léger comme s'il marchait sur de l'éther en direction du second compartiment où il trouva un autre double. Dans cette deuxième antichambre, l'on ôtait de sa boîte crânienne tout ce qui s'apparentait à son cerveau. Un peu plus loin, dans une autre pièce, des mains agiles et savantes plaçaient à l'intérieur de son tronc vidé des sachets de bourrage pleins de natron afin d'accélérer sa déshydratation. Le spartiate, toujours imperturbable, le conduisit au dernier compartiment où l'on comblait toutes ses cavités corporelles déformées par la dessiccation en redonnant à son corps et à sa peau une certaine souplesse physique.

Le grand ascète, rigide et puritain, s'approcha de son cadavre auréolé d'une vive lumière. Les différentes créatures dociles et obéissantes s'évanouirent comme par enchantement dans cette nature étrange et mystérieuse. Celui-là se mit à égrener quelques adjurations soulignées par de suppliantes invocations. Dépassé par l'ampleur des événements et subjugué, Yatim suivait les surprenantes péripéties. -- Tu viens de subir les effets de la place pure ô mortelle créature. Dieu, dans sa grandeur sublime, n'accepte dans son royaume séraphique que les êtres angéliques. C'était le fakir interpellant Yatim du haut d'un certain promontoire. -- Ma mission première s'arrêtant ici, tu vas être confié au Supérieur des contrôleurs qui se chargera de ton éducation.

À peine eut-il terminé sa phrase que le vieillard disparut avec une soudaineté fulgurante comme si quelqu'un avait actionné un bouton pour le faire se dissiper aussi rapidement. Yatim était désemparé et tragiquement seul dans cet univers si blanc où régnait un silence quasiment éternel. Ses jambes amorphes et cotonneuses l'emprisonnaient dans cette impression de vulnérabilité effrayante due à une immobilité désarmante. Cette incapacité flagrante à se mouvoir résultait de sa volonté inhibée ; celle-ci répondait absente à la lenteur défaillante de son esprit subjugué.

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